Edmond Locard, le pape lyonnais du profilage criminel

Publié le par Multiples talents

Edmond Locard, le pape lyonnais du profilage criminel
Edmond Locard, le pape lyonnais du profilage criminel
Photo : télérama - Sur les traces du crime avec France Culture

livre : Edmond Locard - Le Sherlock Holmes français - editions des Traboules

Photo : À la préfecture de police. Le service d'identité des criminels ». Une du Supplément littéraire illustré du Petit Parisien, du 28 février 1892. Source : wikipédia - Le Bertillonnage

Bénéficiant des avancées de ses aînés, le médecin lyonnais Edmond Locard institua les bases de la nouvelle police scientifique.

En 1870, le premier laboratoire d’identification criminelle est créé à la Préfecture de police de Paris. Plus de 50 000 fiches y sont répertoriées, que Bertillon s’emploiera à classer. Même si elles en sont encore à leur balbutiement, les déductions de la médecine légale viennent préciser les enquêtes de police ; on ne se contente plus des témoignages.

Photo : manuel de criminalistique - Alain Buquet

Le bon profil

En étudiant le comportement des assassins, on tente d'en déduire des profils. Les bases de la criminalistique sont posées. On emploie la dactyloscopie depuis 1903, dont Bertillon a posé les bases: Edmond Locard résoudra sa première affaire grâce à cette étude des empreintes digitales, les «phalangettes». Le «bertillonnage» – étude anthropométrique : photographies de face et de profil et prise d’empreintes –, est rapidement adopté aux Etats-Unis. En 1907 est publié, en France, Le Bulletin hebdomadaire de police criminelle , aux fins de diffuser le signalement de toutes les personnes recherchées. La même année, le ministre de l'Intérieur, Georges Clemenceau, dote ses "brigades du Tigre", de rapides Panhard et Levassor.

La péniche des morts, à Lyon, morgue flottantes emportée par la crue de 1910

La péniche des morts

En ce début de XXe siècle, Edmond Locard est un tout jeune praticien lyonnais, très attiré comme son illustre maître Alexandre Lacassagne par la médecine légale. On dissèque alors sur les tables en ardoise de la faculté de médecine de Lyon. On va chercher des corps à la morgue, installée sur une péniche amarrée sur le Rhône, quai de l’Hôpital, en face de l’Hôtel-Dieu. L’été, l’odeur est pestilentielle. L’hiver, les gens se gardent de fréquenter ce lieu funeste émergeant des brumes glacées du fleuve qui se prête aux meurtres, suicides et autres noyades accidentelles. La péniche des morts est finalement emportée par la crue de 1910. Cette même année, Edmond Locard crée le premier laboratoire de police scientifique , qui a fêté le 5 avril 2010, son centenaire. (lire  : la morgue flottante de Lyon, site : embaumements.com, illustrations de Ludivine Stock)

Photo : le Palais de Justice de Lyon, où le Dr Locard eut son laboratoire.

Combles de justice

«Il était entré, derrière le Palais de Justice, par une ouverture étroite (...) Il gravissait les marches obscures d’un escalier en spirale, glissant et hasardeux (...). On tournait le bouton: une assez vaste salle mansardée, des tables de bois brut; au fond, deux agents et une demi-douzaine d’individus minables, boueux, la face et l’être décomposés par une nuit glaciale au Dépôt. L’un d’eux venait de passer sous la toise et une sorte de jeune interne en blouse examinait ses yeux, son angle facial, ses doigts, ses jointures, le tatouage de son poignet, dictait d’une voix basse et indifférente de clinicien, des chiffres à un scribe qui remplissait des chiffres anthropométriques. Ainsi, il suffisait de quelques chiffres pour déterminer un homme.» C’est là, sous les toits surplombant la Saône, que le Dr Locard, par la méthode empirique, tente de jeter les bases d’une nouvelle science analysant par la graphologie, la toxicomanie, la balistique, le comportement criminel et les empreintes et les traces que les assassins ne manquent pas de laisser.

Photo : Archives d'anthropologie criminelle, par Alexandre Lacassagne, maître d'Edmond Locard.

Elémentaire, mon cher Locard

«Personne ne peut aller et revenir d’un endroit, entrer et sortir d’une pièce sans apporter et déposer quelque chose de soi, sans emporter et prendre quelque chose de l’endroit ou la pièce.» Cet axiome, dit de Locard, sert toujours de base à la police scientifique actuelle. Désormais, la police se fie unanimement à l’analyse des précieuses traces, à la mode de Scotland Yard, Sherlock Holmes et son créateur, Sir Arthur Conan Doyle, dont Edmond Locard est le fervent admirateur.

Photo : Tout Sherlock Holmes - L'intégrale illustrée

Les recherches de Locard ne visent pas à déterminer un criminel né, comme Lombroso, fondateur de l’école italienne de criminologie, à la fin du XIXe siècle. Edmond Locard étudie les circonstances du crime, pour le comprendre et tendre à le prévenir. C’est ainsi qu'il détermine que neuf fois sur dix, les anonymographes, – «les corbeaux» –, deviennent immanquablement des empoisonneurs, et plus précisément des empoisonneuses... Ce sont les balbutiements du profilage criminel qui s'appuie sur la psychologie des individus. Cette méthode est née aux Etats-Unis, dans les années 1950, sous l'impulsion d'un psychiatre, James A. Brussel. Par ses recherches, Edmond Locard a contribué à améliorer les techniques de police scientifique, même si elles ne sont pas infaillibles: sur la foi de ses travaux, Renée Lafitte est condamnée au bagne en 1945, pour être acquittée dix ans plus tard.

Polices de tous les pays

Edmond Locard participe à la collaboration internationale des polices, qui deviendra Interpol . En 1937, paraît son Traité de police scientifique en 7 volumes, qui fait toujours autorité: «il comprend une étude détaillée de l'enquête criminelle, la recherche des empreintes et des traces, les preuves de l'identité, l'expertise des documents écrits et la recherche des falsifications.» Dans les années 1950, l’utilisation du portrait-robot, trouvaille confondante du commissaire Chabot de Lyon, vient judicieusement appuyer les témoignages et le déroulement des enquêtes.

Photo : Ecole nationale de police

La dix-huitième promotion des commissaires de police de l’ENPS, - école nationale supérieure de police , basée à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon, porte le nom d’Edmond Locard. Très impliqué dans la vie lyonnaise, grand défenseur du théâtre de Guignol , Edmond Locard a aussi écrit des romans noirs et a été un musicologue averti. Grand ami de Justin Godart – ministre libre-penseur et humaniste engagé depuis les années 1930 contre la persécution des juifs en Allemagne –, Edmond Locard a reçu, le 24 avril 1946, la médaille de la Résistance. Il est décédé en 1966.

photo : Justin Godart - François Bilange

Bibliographie

Jürgen Thorwald, La Grande Aventure de la criminologie , A.G Zurich, 1964, Albin Michel, 1967.

Alexandre Arnoux, Rêverie d’un policier amateur , Albin Michel, 1951.

Edmond Locard, «La Défense contre le crime», in Médecines 50 , Editions de l’Acropole, Lyon, 1950.

Pr Jean Normand (conservateur du Musée d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie de Lyon) «Alexandre Lacassagne, un pédagogue original».

Stymphalides - Une enquête dans le Lyon de la Belle Epoque

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